Le mystère des sondages politiques

Par David Custeau, Chargé de projet

Souvent critiqués, force est de constater que les sondages politiques sont toujours attendus et hautement analysés dans les médias. Après une brève accalmie au cours des derniers mois, la venue prochaine des élections fédérales canadiennes va assurément refaire renaître le débat entourant ces fameux coups de sonde. D’autant plus que, comme ce fut le cas lors de la dernière élection générale fédérale avec la fameuse « vague orange » qui a vu le Nouveau Parti démocratique (NPD) s’emparer de 59 des 75 sièges au Québec, les sondages politiques peuvent contribuer à faire basculer les résultats en faveur (ou en défaveur) d’un parti politique. Toutefois, lors de certaines élections récentes, notamment la dernière élection en Alberta, les sondages n’ont pas été en mesure de prévoir les résultats finaux. Sondage non probabiliste, panel Web, marge d’erreur… ce vocabulaire est de plus en plus utilisé par les journalistes et chroniqueurs qui reprennent les résultats des sondages et également par ceux qui en remettent en doute la validité, mais en connaissent-ils vraiment la portée et la signification? Ce texte va tenter d’éclaircir certaines questions fréquentes par rapport aux sondages politiques.

Sondages non probabilistes : vraiment un problème?

En premier lieu, plusieurs commentateurs de l’actualité tendent à discréditer des sondages politiques réalisés sur Internet, clamant que leur aspect non probabiliste les rend moins fiables que les sondages réalisés au téléphone. Sans entrer dans ce débat, qui mériterait amplement son propre article, il est important de se rappeler que les résultats de tout bon sondage politique réalisé sur le Web à partir d’un panel sont pondérés pour tenir compte de la distribution réelle de la population selon différentes variables (ex. : la région, le sexe, l’âge, la langue maternelle, etc.). Ainsi, il est possible d’obtenir un son de cloche assez fidèle de l’humeur de l’électorat. Au surplus, comme le démontrait Éric Grenier, l’homme derrière le site ThreeHundredEight.com, dans une série d’articles sur le sujet parue dans le Globe and Mail, les sondages Web ont globalement fait meilleure figure que les sondages téléphoniques lors des récentes élections au Canada :

image sondages politques

Méthodologies de sondage lors d’élections politiques

 Source : Éric Grenier, « Why telephone polling used to be the best and why it’s dying out », The Globe and Mail, [En ligne], 25 juillets 2013, http://www.theglobeandmail.com/news/politics/why-telephone-polling-used-to-be-the-best-and-why-its-dying-out/article13417520/?cmpid=rss1&utm_source=dlvr.it&utm_medium=twitter.

Des jeunes difficilement joignables par téléphone

Chaque méthode présente ses avantages et ses inconvénients. Par exemple, les sondages téléphoniques sont probabilistes, car chaque électeur a une chance équivalente d’être rejoint. Toutefois, avec cette méthode de collecte des données, il peut s’avérer plus complexe de rejoindre les jeunes qui n’ont souvent pas de ligne terrestre. D’autre part, les sondages Web peuvent favoriser l’honnêteté des réponses des personnes sondées sur des questions plus sensibles ou plus personnelles, puisqu’elles n’ont pas à interagir avec une vraie personne au bout du fil. La question de la désirabilité sociale joue donc un rôle moins important. Toutefois, est-ce que les personnes âgées rejointes via Internet sont véritablement représentatives des personnes âgées en général? Ces personnes âgées plus branchées n’auraient-elles pas un mode de vie et un comportement politique différents de ceux des non branchés? Ainsi, plutôt que de regarder la méthode de collecte, on devrait plutôt se pencher, entre autres, sur l’échantillonnage et sur la formulation des questions lorsqu’on veut vérifier la validité d’un sondage… mais cette question est un débat en soi.

La prime à l’urne complique les prévisions

En second lieu, un élément qui complexifie l’exercice d’un sondage politique est le fameux phénomène de la prime à l’urne. Les deux dernières élections provinciales québécoises constituent des exemples probants de ce phénomène. Ainsi, autant lors du plus récent scrutin qui vit l’élection d’un gouvernement majoritaire libérale que l’élection provinciale québécoise de 2012 qui a porté le Parti Québécois (PQ) à la tête d’un gouvernement minoritaire, le Parti libéral du Québec (PLQ) a obtenu une plus grande part du suffrage populaire que le prévoyaient les sondages. De fait, lors de ces deux campagnes, la grande majorité des sondages ont largement sous-estimé le score final du PLQ. D’ailleurs, en 2012, la récolte du PLQ de 31 % des votes et 50 sièges lors du jour J était bien loin de la catastrophe initialement annoncée.

Revoir la répartition des indécis?

Plusieurs éléments peuvent expliquer l’incapacité des sondages à prévoir ces résultats, notamment la question de la désirabilité sociale. En effet, avec un parti dont la crédibilité était minée par des questions éthiques, certains électeurs libéraux ont pu être gênés de dire qu’ils comptaient appuyer ce parti. Ces répondants n’auraient donc pas été tout à fait honnêtes lors du sondage. Par ailleurs, il est également possible que, étant donné le contexte politique, il y avait plus d’électeurs libéraux que de partisans des autres partis parmi les indécis. Puisque les indécis sont traditionnellement répartis de façon proportionnelle entre les partis par les sondeurs, cette réalité n’aurait pas pu être captée par ceux-ci. C’est d’ailleurs ce qui amène Claire Durand, professeur titulaire au département de sociologie de l’Université de Montréal, à plutôt attribuer 50 % des discrets au PLQ et à ne pas en attribuer aux plus petites formations politiques (Québec solidaire, Parti vert du Québec, Option nationale, etc.), celles-ci étant généralement appuyées par des citoyens convaincus et moins enclins à changer d’idée en cours de campagne électorale.[1]

Le mode de scrutin : un autre défi

Un autre aspect qui rend difficile la prévision des résultats électoraux au Québec, comme au Canada, est le mode de scrutin uninominal majoritaire à un tour. Sans vous donner une leçon de politique 101, retenons que ce mode de scrutin ne traduit pas directement l’appui populaire en nombre de sièges. De fait, notre système électoral introduit une disproportion entre le nombre de votes obtenus par un parti et son nombre de députés élus, favorisant les grands partis, au détriment des plus petits. Il est donc très complexe pour les sondeurs de déterminer qui formera le gouvernement, si ce parti sera majoritaire ou minoritaire et combien de sièges obtiendront respectivement les différents partis politiques.

Des sondages qui ont du poids

Enfin, au-delà des questions de méthodologie et de précision, certaines critiques envers les sondages politiques touchent directement le déroulement de la campagne électorale. Comme lors de la « vague orange », un sondage très positif pour un parti, dans ce cas-ci le NPD, peut encourager d’autres électeurs à suivre le pas et accentuer de façon spectaculaire une tendance au sein de l’électorat. De notre avis, cela démontre plutôt l’importance accordée autant par les médias que par la population aux sondages politiques, eux qui en sont nettement friands. Par conséquent, c’est maintenant aux firmes de recherche marketing de faire la démonstration qu’elles sont en mesure d’éviter les écueils intrinsèquement liés à l’exercice des sondages politiques, qu’ils soient dus au mode de scrutin, au contexte politique, à l’humeur changeante de l’électorat ou à l’évolution de la méthodologie en recherche.

[1] Claire Durand, Lendemain de veille – vive la moyenne des sondages, [En ligne], 9 avril 2014, http://ahlessondages.blogspot.ca/2014/04/lendemain-de-veille-vive-la-moyenne-des.html (Page consultée le 11 avril 2014).